Redonner du sens au conseil : un enjeu majeur pour l’accompagnement psychologique
Dans un contexte où les individus font face à une densité croissante de choix et d’injonctions à décider par eux-mêmes, l’accompagnement psychologique gagne une importance considérable. Beaucoup de personnes expriment aujourd’hui un sentiment d’oppression face à la nécessité de choisir, tout en se découvrant paradoxalement démunies lorsqu’il s’agit d’identifier ce qui est réellement bon pour elles. Cette solitude décisionnelle n’est pas seulement une impression : elle est la conséquence directe d’évolutions sociales, économiques et culturelles qui transforment en profondeur notre rapport au conseil.
Une inflation des choix, mais une raréfaction du conseil véritable
La littérature en psychologie sociale souligne depuis plusieurs années que la multiplication des choix n’équivaut pas à un accroissement de la liberté individuelle. Barry Schwartz, dans ses travaux sur le « paradoxe du choix », décrit comment l’excès d’options peut conduire à une paralysie mentale plutôt qu’à un gain d’autonomie. Aujourd’hui, ce phénomène se voit renforcé par des environnements saturés d’informations où le conseil est souvent réduit à une prescription rapide, orientée davantage par des logiques d’objectifs économiques que par une compréhension authentique de la personne accompagnée.
Dans les organisations, dans les dispositifs d’accompagnement, et même dans certains services de santé ou d’orientation, le conseil tend à se standardiser. Il vise à répondre à des cadres prédéfinis plutôt qu’à s’adapter véritablement aux trajectoires individuelles. Ce décalage crée une forme de dissonance : on attend de la personne qu’elle soit autonome, tout en la dirigeant vers des solutions construites sans elle.
Les dynamiques psychosociales à l’œuvre : surcharge mentale, dissonance et fragilisation du pouvoir d’agir
La psychologie du travail et la psychologie sociale nous éclairent sur les effets concrets de cette situation. Les recherches récentes sur la surcharge cognitive montrent que, confrontés à trop d’options sans repères fiables, les individus voient leur capacité de raisonnement diminuer. Ils décident plus vite, se résignent plus facilement ou procrastinent davantage. L’absence de conseil situé (c’est-à-dire contextualisé, incarné et individualisé) amplifie cette charge.
Parallèlement, la dissonance entre les besoins exprimés et les recommandations reçues nourrit un sentiment de confusion et de perte de sens. Lorsque les conseils semblent répondre à des logiques externes – de performance, de rentabilité, de flux – plutôt qu’aux réalités vécues, la personne doute de sa propre légitimité à ressentir ce qu’elle ressent. Enfin, les travaux d’Albert Bandura sur l’efficacité personnelle rappellent à quel point la perception de sa capacité à agir est déterminante. Privé d’un accompagnement ajusté, l’individu peut finir par considérer qu’il n’a plus les ressources pour décider.
Le rôle du psychologue : restaurer un espace de pensée, de sens et de pouvoir d’agir
C’est ici que se situe toute la valeur du travail du psychologue. Accompagner ne consiste pas à dire à la personne ce qu’elle doit faire, mais à lui offrir un espace qui ralentit le rythme, permet la mise à distance et ouvre à une compréhension plus fine de ce qui se joue. Dans cette démarche, inspirée notamment des approches narratives ou des modèles de la clinique de l’activité, l’objectif n’est pas de prescrire une trajectoire mais de soutenir la reconstruction de sens.
Le psychologue occupe la place d’un tiers, extérieur aux logiques prescriptives et suffisamment proche pour favoriser une élaboration active. Il aide la personne à revisiter ses représentations, à identifier ses ressources, à articuler ses contraintes réelles avec ses aspirations. Le conseil, dans ce cadre, devient un processus maïeutique : il ne vient pas remplacer la décision de la personne, il en devient le support subtil et structurant.
Un conseil qui part de la personne : une posture éthique et une responsabilité professionnelle
Pour être juste, le conseil doit s’enraciner dans une compréhension fine des besoins. Les approches centrées sur la personne, héritées de Carl Rogers et largement actualisées aujourd’hui dans les pratiques professionnelles, rappellent que l’écoute authentique et l’alliance de travail sont des conditions incontournables pour qu’un conseil puisse réellement aider. Cette posture, qui demande du temps, de la disponibilité mentale et une véritable curiosité pour l’histoire singulière de la personne, forme un contrepoint essentiel face aux logiques de standardisation.
L’éthique professionnelle impose d’éviter toute orientation qui déposséderait l’individu de son pouvoir d’agir. L’enjeu est au contraire de renforcer l’autonomie réelle : celle qui se construit dans la cohérence entre valeurs profondes, émotions légitimes et décisions concrètes. Un conseil ajusté n’impose rien ; il éclaire, il ouvre, il soutient.
Pourquoi cela compte aujourd’hui ?
Parce que la complexité croissante du monde ne rend pas forcément les individus plus libres. Parce que l’autonomie est un processus, pas une injonction. Parce qu’une société qui multiplie les choix sans multiplier les repères fabrique de l’épuisement plutôt que de la liberté.
Dans un paysage où le conseil se transforme parfois en produit, il devient crucial de réhabiliter un conseil fondé sur le sens, la relation et l’humanité. Le travail du psychologue s’inscrit pleinement dans cet enjeu : redonner de la cohérence, restaurer des espaces de pensée, accompagner la reprise de pouvoir d’agir.
Redonner du sens au conseil, c’est finalement redonner à chacun la possibilité de redevenir auteur de son propre mouvement, dans un monde qui, trop souvent, décide à sa place.